Interviews

Voici les principales interviews


2015. Anne-Claire Roussy
2013. Eric Cabanas
2012. Chloé Chamouton
2008. Peggymintun
2005. Stéphane Vapillon

 

 

 

 


Anne-Claire Roussy – Professeur à l’école Paul-Bert – Antony. 92. Juin 2015


 

Comment valoriser les déchets électroniques ? Un réponse artistique: les sculptures de M. Tassou

Nous avons observé et étudié dans le détail les six œuvres de M. Tassou qui sont exposées à l’école jusqu’à fin juin.

D’abord, nous avons observé de loin, de près, de très près, en regardant de face, de côté, sur le dessus… les œuvres exposées en exprimant nos premières impressions. Puis, nous avons posé des questions sur ce qu’on voyait, les composants que l’on croyait reconnaître, en essayant d’imaginer d’où cela venait et ce que l’œuvre au final représentait ou voulait dire.

Puis, nous avons été sur les sites internet de M.Tassou pour retrouver les œuvres que nous avions en exposition à l’école, prendre les dimensions, chercher des informations supplémentaires sur comment elles étaient faites, avec quels matériaux, comprendre qu’elle était la démarche de l’artiste ou quel parcours il avait eut pour mieux comprendre comment on devient artiste.

Nous avons trouvé plusieurs œuvres qui se ressemblaient avec des petites différences de matériaux ou de fabrication. Il nous a fallu être très observateur pour distinguer celles que l’on avait à l’école. D’autres étaient plus uniques, plus faciles à distinguer.

« Espio »

Nous avons alors sélectionné une vingtaine de questions qui restaient sans réponse et que nous avons envoyées à M.Tassou. Voici nos questions et les réponses de M. Tassou :

Espio : Nous avons compté 158 appareils photos utilisés. Y en a-t-il à l’intérieur de la sculpture ? Nous avons compté plusieurs appareils appelés Espio sur l’œuvre.

La sculpture est creuse. Il n’y a pas d’appareils à l’intérieur. Il n’y a que des morceaux de bois qui servent à consolider la structure pour que le totem ne se déforme pas.

Je m’efforce de ne pas mettre deux fois le même appareil photo dans un totem. S’il y a plusieurs appareils qui portent le nom Espio, il est probable qu’ils ne soient pas totalement identiques.

Espio : Comment avez-vous fait pour ne pas avoir de trous entre les appareils photos ? Nous avons bien vu le petit ciment argenté entre les appareils mais comment avez-vous fait pour qu’ils soient tous très imbriqués les uns aux autres ?

Le « petit ciment argenté » est fait de colle néoprène gel qui après séchage est peint couleur argent. Cette colle est disponible en grande surface. Lors de l’achat il faut faire attention à ne pas prendre de la colle néoprène liquide beaucoup plus difficile à utiliser.

Concernant l’assemblage des appareils c’est là que réside mon savoir-faire et mon expérience. Pour que les appareils soient bien imbriqués les uns aux autres, il suffit de positionner le bon appareil au bon endroit. C’est la même chose en peinture. Pour être un bon peintre il suffit à l’aide d’un pinceau de déposer la bonne quantité de peinture au bon endroit… Cela s’appelle aussi le métier…

« Great Balls of Fire »

 

Great Balls of Fire : est-ce que la guitare fonctionne encore si on la branche ? D’où vient cette guitare ? A qui était-elle ?

La guitare fonctionne théoriquement car en fait je ne l’ai jamais essayé. C’est une guitare électrique qui nécessite d’être reliée à un amplificateur de puissance et je n’ai pas d’ampli car je ne suis pas musicien. Pour mes loisirs je préfère les échecs et le billard français, celui où l’on joue avec trois billes. Cette guitare a été fabriqué en Chine et je l’ai acheté neuve spécialement pour faire cette sculpture.

Pour fabriquer une œuvre, avez-vous en premier les matériaux nécessaires ou l’idée ?

Pour moi il y a deux sortes de sculptures. Celles qui me sont commandées par des clients, les commandes et celles que je fais librement, les créations. Pour les commandes, il s’agit de refaire une pièce car les gens ne commandent que des pièces qu’ils ont déjà vues. Il faut alors que je m’assure d’avoir les matériaux disponibles avant d’accepter la commande. Dans ce cas je vérifie donc en premier les matériaux nécessaires. Pour les créations, je peux faire tout ce que je veux à partir du stock disponible. Dans ce cas je m’intéresse en premier à l’idée

Avez-vous une idée assez précise de ce que vous voulez créer quand vous commencez la fabrication d’une œuvre ?

J’ai une idée très précise. Avant de démarrer une pièce je prends quelques notes. Je connais exactement sa hauteur, sa largeur, son épaisseur et je peux en évaluer le poids. Si je ferme les yeux je peux la visualiser dans ses grandes lignes mais il y a des zones d’ombre. Au cours de la fabrication je prends souvent un chemin différent de celui que j’avais envisagé. Confronté aux problèmes techniques et esthétiques je me laisse souvent entrainer vers un autre type de finition que celui initialement prévu.

Est-ce que vous faites un plan ou un dessin de ce que vous imaginez avant de commencer la fabrication ?

Pour construire une maison, un architecte dessine des plans qu’il remet au maçon afin que celui-ci fasse les travaux. Lorsque je travaille je suis à la fois architecte et maçon. Je n’ai donc pas besoin de plans mais je note tout de même quelques côtes.

Combien de temps vous faut-il pour fabriquer une nouvelle œuvre ?

Mon temps se partage à part égale entre deux activités. Récupérer les composants électroniques et fabriquer les œuvres. Récupérer des composants cela veut dire trouver des machines (téléviseurs, ordinateurs, magnétoscopes, lecteurs…), les démonter, récupérer les composants qu’il faut ensuite nettoyer et trier. Je démonte environ 300 machines chaque année. Fabriquer une œuvre prend quelques semaines. Il en faut deux pour Espio ou Sunny , trois pour Le Cloud, cinq ou six pour Winbond ou Motorola, trois ou quatre pour Great Balls of Fire. Ce n’est pas très précis car le temps je ne le compte pas. Par contre je le prends.

Avez-vous un assistant (plusieurs ?) qui vous aide à collecter, démonter, trier les objets ou composants pour fabriquer vos œuvres ?

Je travaille seul et en silence. Je suis tous les jours à l’atelier vers 9h et je travaille jusqu’à 18h. Je ne prends pas de vacances ni de jours de congé car je m’ennuie. Mais en fait travailler n’est pas le mot adapté. Les artistes ne travaillent pas. Ils jouent comme le font les musiciens ou les comédiens. Tous les artistes jouent. Moi je joue de la pince coupante et du tube de colle… Les travailleurs ont besoin de vacances mais pas ceux qui passent leur temps à jouer.

Quels sont les outils que vous utilisez le plus fréquemment pour créer une œuvre ?

J’ai beaucoup d’outils de toutes sortes. Principalement des pinces et des outils de coupe ou de meulage. Il y a un outil indispensable que j’utilise chaque jour pour la fabrication des pièces. C’est le pied à coulisse. Il permet de prendre des cotes intérieures ou extérieures en travaillant au dixième de millimètre.

Comment est votre atelier ? Nous l’imaginons vaste et encombré de multiples objets électroniques à moitié démontés avec des casiers et des boites partout pour y trier et ranger les composants et des œuvres en cours… (Auriez-vous une photo ?)

Par courriel séparé je vous ai fait un reportage photo sur l’atelier. J’habite une grande maison blanche avec jardin. Mon atelier occupe tout le rez de chaussée. Dans le jardin je dispose d’un petit garage et d’un petit local de rangement. Je classe les composants dans des bocaux et des caisses en bois que je range à l’intérieur. Pour des objets que j’ai en plus grande quantité je stocke à l’extérieur dans des bacs étanches en plastique noir. Tout est rangé avec précision. Il y a une place pour chaque chose et chaque chose est à sa place. Lorsque je récupère une machine je la démonte immédiatement et je répartis tout de suite les composants. Il n’y a donc pas d’objets à moitié démontés, pas de composants qui traînent et pas de machines en attente de démontage. Par contre il y a souvent plusieurs pièces en fabrication simultanément.

Combien avez-vous fait d’œuvres en tout ? Nous n’avons pas réussi à compter sur votre site.

Je tiens un registre illustré de photos avec l’ensemble des pièces que j’ai fabriqué depuis le début. « Mosaic »  la toute dernière pièce porte le numéro 822. Sur le site tassou.com il y en a un peu moins, 615 exactement, car je ne montre pas les « redites » c’est-à-dire les pièces qui se ressemblent.

Quelle est votre œuvre favorite ? Celle que vous aimez le moins ?

Ma pièce favorite c’est le totem d’appareil photo « Olympus ». On me commande souvent cette pièce qui se vend dans le monde entier et j’ai à chaque fois un grand plaisir à la fabriquer. Je suis content qu’elles partent loin. Cette année j’ai expédié au Koweit et à Singapore. Quant à celles qui ne me plaisent pas elles sont très variées. Il y a celles qui ne ressemblent pas à ce que j’avais imaginé, celles qui ont des défauts de construction, celles qui sont trop lourdes ou trop hautes ou trop large … Il y a toujours un défaut mais je termine tout de même toutes les pièces et je montre presque tout.

Préférez-vous faire des œuvres abstraites ou figuratives ?

Je fais très peu de figuratif. Il y a le Cyberfly, le papillon que vous pouvez voir sur Le Cloud et le Cybervarius, un violon en cuivre que j’ai fabriqué en plusieurs exemplaires. Je préfère de loin les œuvres abstraites.

Que ressentez-vous quand vous transformez des déchets jetés en œuvres admirées ?

J’ai l’impression d’être un alchimiste qui sait fabriquer de l’or avec des déchets. J’ai la formule magique…

Est-ce que vous arrivez à vivre de la vente de vos œuvres plutôt bien ? Ou avez-vous une autre activité pour être sûr de manger ?

Je ne suis pas très connu mais j’arrive à vivre en vendant mes œuvres. J’ai deux types de clients. D’une part les industriels de l’électronique qui achètent des pièces pour décorer le hall de leur usine ou faire des cadeaux à leurs bons clients et d’autre part les collectionneurs qui sont intéressé par le côté patrimoniale des œuvres que je fabrique. Pour eux, ces sculptures qui reflètent le design et la technologie de notre temps sont appelées à prendre de la valeur et ceci qu’elle que soit la notoriété que j’arrive à avoir de mon vivant. Je n’ai pas d’autre activité que la sculpture et je gagne à peu près comme un instituteur. Pour que je sois plus connu, que mes œuvres se vendent mieux il faudrait que les journaux les télévisions et internet parlent plus souvent de moi. Beaucoup de journalistes sont à Paris. En exposant dans votre école proche de la capitale je peux espérer en rencontrer un.

Combien d’œuvres vendez-vous en moyenne par mois ?

Il y a différent type d’œuvres et en particulier les petites et les grandes. Il y a des mois ou je ne vends que des petites comme en décembre avec les cadeaux de Noel. Il y a des mois ou je ne vends qu’une seule grosse pièce et d’autres ou je ne vends rien. C’est très irrégulier et c’est donc par année et en chiffre d’affaire qu’il faut compter. Je vends une douzaine de pièce par an.

Est-ce que vous êtes copié ? Est-ce que quelqu’un vous a déjà pris votre idée d’une œuvre ?
Salvator Dali disait que la copie était « la preuve de l’art ». Malheureusement pour l’instant je n’ai pas été copié. Mais il y a d’autres artistes qui ont fait des œuvres avec des composants électroniques. Ce qui me distingue c’est sans doute d’avoir utilisé exclusivement de l’électronique durant vingt ans. Il faut dire aussi que copier une de mes œuvres ce n’est pas si simple. Il faut avoir le matériel et le savoir-faire. Il y a beaucoup plus de copies et de faux en peinture car pour copier un tableau c’est très facile. Il suffit qu’un bon peintre ait un pinceau une toile et de la peinture.

Etiez-vous bon élève à l’école ? Bon élève en arts plastiques ?

Je n’étais pas dans les meilleurs mais je n’ai jamais redoublé. J’étais bon en mathématique. Quant aux arts plastiques cela n’existait pas quand j’étais à l’école. De temps en temps, le mercredi après-midi quand il pleuvait nous faisions de la peinture. Je n’étais pas bon du tout. Par contre à la maison je faisais du canevas avec du fil de coton et une aiguille ainsi que de la reliure. Je bricolais beaucoup avec mon père.

Quelles sont les plus grosses difficultés à affronter pour devenir un artiste connu et reconnu ?

Picasso disait que le plus difficile pour un artiste ce sont les trente premières années… Une démarche artistique c’est très long et il faut le savoir avant de démarrer. Le principal problème c’est le manque d’argent. Aujourd’hui sur cent artistes il n’y en a que cinq qui arrivent à vivre de leur travail. En général les premières années on ne vend rien et cela coûte cher en outils et en matériaux. Au bout de quelques années les ventes commencent à couvrir ces frais et ce n’est qu’au bout de dix ou quinze ans que l’on devient autonome financièrement. Personnellement je suis sculpteur depuis vingt ans et j’ai travaillé à mi-temps dans une compagnie d’assurance pendant les dix premières années. Et puis comme tout le monde il faut aussi affronter le doute et le découragement. La plupart des artistes deviennent célèbre après leur mort. Cela donne parfois à réfléchir.

Quelle est d’après vous la qualité la plus importante pour réussir en tant qu’artiste à notre époque ?

D’abord une bonne condition physique. La première qualité c’est la bonne santé et la vitalité. Il faut être tonique et bien reposé pour pouvoir être quotidiennement actif et créatif. Il faut une bonne agilité intellectuelle car pour créer il ne suffit pas de trouver une réponse à une question. Il faut trouver toutes les réponses pour ensuite faire le bon choix. Il faut pratiquer son art chaque jour et viser en permanence l’excellence. Il ne faut pas boire de vin.

Ensuite il faut être dans la création. Créer c’est faire quelque chose qui n’existe pas. Si vous faites de la peinture traditionnelle vous vous frottez à 5000 ans d’histoire de l’art et à des dizaines de milliers de peintres. Difficile alors d’être original. Si vous faites de la création graphique sur l’ordinateur vous vous frottez à 50 ans d’histoire de la création numérique. C’est déjà beaucoup. Par contre si vous faites des sculptures avec une imprimante 3D vous vous frottez à 5 années de création. C’est beaucoup plus facile… Un artiste est toujours un enfant de son temps. Créer avec les outils de son temps me semble la qualité la plus importante pour réussir en tant qu’artiste à notre époque.

Enfin il faut suivre son chemin sans se soucier des difficultés. Quand une pièce est finie il faut en faire une autre un peu mieux. L’art ne se vend pas. Il s’achète. En faisant de mieux en mieux il arrive un moment ou le désir d’acquisition se manifeste et ou les premiers clients arrivent. Il faut toujours continuer et ne jamais renoncer car tout est possible pour celui qui travaille. Et c’est bien là le plus important car comme disait Matisse : « Même pour le plus grand des génies, rien n’est possible sans un travail assidü ».

 

 

 

 


Eric Cabanas – Journaliste à Presse Océan –  5 novembre 2013


 

SCULPTURE. L’artiste nantais Rémy Tassou expose jusqu’au 9 novembre à Nantes chez Loïc Vallée.

 

Les « antiquités du futur ».

 

Les œuvres du sculpteur Nantais Rémy Tassou, véritable travail de mémoire, partent dans le onde entier.

Presse Océan : Pourquoi avoir choisi les déchets électroniques comme matériau ?
Rémy Tassou : « Tout mon travail tourne autour des DEEE, les déchets d’équipements électriques et électroniques. L’électronique n’apparaît vraiment qu’après 1945. C’est un nouveau matériau que les générations précédentes ne pouvaient imaginer  qui envahit brutalement la société. Sa place est énorme dans notre quotidien, dans tous les domaines. Il est important de faire un travail de mémoire. Car l’électronique de demain va être invisible, coincée entre les progrès constants de la miniaturisation et l’arrivée en force des nanotechnologies. Aujourd’hui sur la circonférence d’un cheveu on met trois mille transistors. Ce sont de nouvelles capsules, de nouvelles formes. Sur les derniers smartphones il n’y a plus de résistances. C’est la même chose avec les disques durs ou les mémoires RAM. Un devoir de mémoire s’impose ».

 

C’est le but de votre totem d’appareils photos ?
« On dit qu’un artiste est un enfant de son temps. Le temps est à l’électronique, à la téléphonie, au numérique. Ce totem reflète le design et la technologie de notre temps mais aussi une date bien précise dans l’histoire de la photographie. C’est la rupture technologique qui correspond au passage au numérique. C’est une pièce patrimoniale qui correspond a une date précise. La plupart des appareils sont en état de marche mais les gens ne s’en servent plus ».

 

Vous parlez d’antiquités du futur ?
« L’an dernier lorsque Karl Lagerfeld à fait la scénographie de la 26* Biennale des antiquaires au Grand Palais, il a acquis l’un de mes totems d’appareils photo, posant à côté pour une affiche, en disant que c’était cela l’antiquité du futur. Ce totem a été exposé sur le stand Cartier ».

 

Vous pensez tou|ours avoir de la matière ?
« Oui, elle évolue. L’électronique, des années quatre-vingt puis celle des années quatre-vingt-dix, est très belle. Celle d’aujourd’hui aussi. Les matériaux changent. Les industriels sont obligés de ré-encapsuler, de mettre dans de nouveaux modules. Ce qui est extraordinaire, c’est que les composants viennent du monde entier, du Mexique, du Portugal, de Singapour. Tout cela a été assemblé en Chine et réexpédié en Europe. Cette électronique est répartie sur toute la planète de la même façon, le transistor utilisé dans un ordinateur à Nantes est le même que celui d’un ordinateur utilisé au Japon. C’est fascinant ».

 

 

 

 


Chloé Chamouton – Journaliste à Nantes Reportages – Décembre 2012.


Rémy Tassou :

« Un travail esthétique et un acte de mémoire ».

Dans son atelier de Saint-Herblain, au coeur de la maison familiale, Rémy Tassou crée et façonne des œuvres originales à partir de composants électroniques, donnant naissance à des compositions poétiques et esthétiques. Des créations que l’artiste considère comme patrimoniales et pérennes, défiant le temps. A travers ces sculptures proches de la science-fiction, Rémy Tassou se donne comme ambition de faire acte de mémoire. Entretien avec un visionnaire qui compte à son actif plus de 500 pièces exportées et vendues dans le monde entier.

En quoi consiste votre art ?
Ma philosophie se nourrit de l’électronique. Celle-ci est un matériau particulier, composé de divers petits éléments (diodes, condensateurs) qui apparaît dans les années quarante. Au fil des années et des décennies, l’électronique a subi un processus de miniaturisation, accentué par les nanotechnologies. Les composants sont devenus invisibles. C’est la disparition progressive de ce matériau exceptionnel qui m’a motivé à créer. Depuis 20 ans je réalise a la fois un travail esthétique, qui m’amuse, et un travail de mémoire de cette technologie, en assemblant des œuvres composées de ces éléments électroniques. Celles-ci deviennent patrimoniales car elles sont datées et correspondent à une période donnée de la révolution technique.

 

« Afficheur »

Vous travaillez avec des matériaux de récupération ? Où vous fournissez-vous ?
L’entreprise Envie 44, a Nantes, s’occupe du recyclage des DEEE. c’est-a-dire des déchets électroniques. Il s’agit d’une entreprise de réinsertion sociale. Quand je suis rentré sur Nantes, il y a deux ans, l’équipe m’a accueilli chaleureusement C’est grâce a elle que je récupère ma matière première.

 

Quelles sont vos sources d’inspiration ? Comment procédez- vous ?

Je prends le temps pour réaliser une œuvre. En moyenne, je crée 20 pièces par an. J’ai un certain nombre de projêts en tête, mais il me faut accumuler le matériau nécessaire avant de pouvoir me lancer. Je me nourris surtout de certains domaines, tels que l’architecture, la haute couture et la joaillerie. Un univers où la créativité se trouve a son apogée

 

Vous êtes l’inventeur du cybertrash. Pourriez-vous définir ce concept ?
« Le cybertrash, c’est une alchimie entre art et technologie ».

En fait il s’agit du nom de la toute première pièce que j’ai réalisée en électronique, en 1996. Avant, j’étais sculpteur mais j’ai découvert la majesté de ce matériau fascinant. Les composants électroniques sont gorgés de métaux précieux : or, cuir, étain. argent. Je transforme ces matériaux en œuvres artistiques et les fais entrer dans la mémoire collective. En somme, le cybertrash, c’est une alchimie entre art et technologie.

 

En tant qu’artiste, comment ressentez-vous l’évolution de Nantes Métropole ?
Je suis originaire de Nantes, j’y ai vécu jusqu’à l’âge de 30 ans, avant de partir sur la Côte d’Azur, à Grasse, pour des raisons professionnelles. Ce qui est le plus flagrant, c’est l’évolution culturelle de
Nantes Métropole. Nous sommes désormais dans une ville tournée vers les activités culturelles. A Saint-Herblain, nous avons la chance de bénéficier d’une maison des arts, avec une équipe très attentive et dynamique, qui effectue une veille culturelle constante Je suis content d’être revenu.

 

 

 


Peggymintun – Artiste américaine sur DeviantArt – 2008


 

 

Parlez-nous un peu de vous et de votre parcours.
J’ai grandi dans une famille modeste. Mon père était représentant chez Kodak dans les arts graphiques. À l’adolescence, je passais beaucoup de temps dans son laboratoire. Il y avait un agrandisseur et tout le nécessaire pour développer des photos en noir et blanc. Les produits chimiques et le papier étaient gratuits. Ma mère était professeur de cuisine pour les femmes des ouvriers métallurgistes. Bien souvent, je devais l’aider à préparer les repas, mais mon vrai passe-temps était le canevas. Ma plus grande pièce, réalisée à 11 ans, était une reproduction de 80 * 120 cm des  » glaneuses  » de Millet … ce fut probablement mon premier contact avec l’art.

Après le lycée, je suis entré dans une école de commerce à Angers, puis j’ai commencé à travailler. J’ai ouvert un magasin de meubles à Dubaï (Emirates), puis je suis devenu producteur de spectacles à Nantes. J’ai travaillé avec des chanteurs français connus tels que Jacques Higelin, Claude Nougaro et Leo Ferré. J’ai parfois organisé des spectacles pour des chanteurs internationaux tels que James Brown, Elton John ou Nina Simone.

Après la naissance de mes deux enfants, je voulais un travail plus stable financièrement. J’ai donc rejoint Reuters à Paris pour travailler sur les premières bases de données financières.

 

« Megaoctet »

C’est à cette époque ennuyeuse que j’ai commencé la sculpture.

Aujourd’hui, mon fils parcourt le Canada en traîneau à chiens et ma fille travaille dans une agence de communication en tant que graphiste.

Quels artistes t’ont influencé?
Le premier frisson que j’ai ressenti c’était pour une toile de Jean Michel Basquiat… C’est le déclencheur qui m’a fait commencer à étudier l’histoire de l’art. Plus tard, j’ai découvert trop d’œuvres d’art hallucinantes pour ne retenir qu’une seule influence concrète. Je m’intéresse aussi à l’architecture et à la haute couture.

Qu’est-ce qui vous motive dans la vie en tant qu’artiste ?
Être artiste aujourd’hui est un privilège, celui de jouer au lieu de travailler. Les gens permettent à l’artiste de continuer à jouer en achetant ses œuvres. Le véritable fossé dans la société européenne n’est pas entre gauche et droite, ni entre les pauvres et les riches. Il y a ceux qui travaillent et ceux qui jouent.

Parlez-nous un peu de votre processus ou de votre façon de travailler.
J’ai deux assistants qui m’aident à rassembler et à démonter les ordinateurs pour récupérer les composants. Ils travaillent dans un atelier de 200 mètres carrés que j’utilise également pour stocker les composants. Je crée mes œuvres dans mon propre atelier / galerie de 40 mètres carrés. Les composants sont prêts à être utilisés. Pour trouver de nouvelles idées, je feuillette le catalogue virtuel – dans ma tête – qui contient toutes les pièces qu’il me reste à créer … et je vois clairement qu’il ne restera pas assez de temps pour toutes les créer …

Comment obtenez-vous les fournitures dont vous avez besoin pour réaliser les sculptures uniques et magnifiques que vous créez ?
Je reçois le matériel (ordinateurs, écrans, magnétoscopes, etc.) grâce à un partenariat avec l’entreprise publique locale qui collecte les déchets d’équipements électriques et électroniques (DEEE) autour de Grasse. Je peux aller directement dans les bennes et choisir les machines. J’utilise environ 3000 pièces de matériel par an.

Certains des objets avec lesquels vous travaillez contiennent des matières un peu dangereuses, telles que le plomb et le mercure. Quelles mesures prenez-vous pour vous protéger pendant que vous créez votre art ?
Bien sûr, manipuler des composants électroniques toute la journée m’expose à des risques… pas autant que de fumer un paquet de cigarettes tous les jours… mais dans l’art contemporain, si l’on veut devenir célèbre rapidement… il faut mourir jeune…

En utilisant ces matériaux et en les préservant des décharges, faites-vous une déclaration sur l’importance du recyclage? 
Il est très important de montrer aux consommateurs qu’un appareil en fin de vie peut être recyclé. Le tri et le recyclage des déchets sont nécessaires pour ne pas ruiner la terre. Le Cybertrash peut être une source d’inspiration et un encouragement.

Quelles sont vos œuvres d’art préférées ? Choisissez l’un des vôtres et celui d’un autre artiste.
Parmi mes créations, celles que j’aime le plus sont les plus récentes. Celles-ci bénéficient le plus de mes compétences améliorées et de mes dernières techniques. Chaque jour, je crée de nouveaux détails, perfectionne mes compétences et mes techniques d’assemblage. Le plus avancé est à mon avis « Megaoctet » … ,mais posez-moi la même question dans une année et j’en choisirai une autre qui n’est pas encore créée.

À propos des autres artistes, il y a beaucoup de chefs-d’œuvre … en particulier sur DeviantArt … Mon préféré est « sphere », un chef-d’œuvre de Pomodoro qui m’assomme vraiment …

Que voulez-vous que les gens sachent à propos de vous et de votre travail qu’ils ne connaissent peut-être pas déjà ?
Ce que les gens ne savent pas, c’est que toutes mes œuvres sont un peu râtées … Mais je suis le seul à savoir … Parce que je sais à quoi elles devraient ressembler.

Merci à Tassou d’avoir pris le temps de cette interview. 

 

 

 

 


Stéphane Vapillon – Journaliste à La Lettre de L’ESSCA – Mars 2005


Tassou (Promo 80)
Sculpteur (inventeur du « cybertrash »)

Nous invitons les Anciens de l’ouest à aller découvrir les œuvres de Tassou actuellement exposées au musée des transmissions militaires de Rennes. Ceux du Sud-Est peuvent se rendre à sa galerie à Grasse et écouter son émission sur Agora FM.

Comment devient-on sculpteur ?
Progressivement puis intensément ! Après l’ESSCA, j’ai créé une entreprise de négoce de meubles aux Emirats arabes unis. Puis, je suis rentré en France où j’ai monté une entreprise d’organisation et de production de spectacles sur Nantes, Angers et Cholet (concerts notamment : Higelin,
Souchon, Nougaro, etc.). Cette expérience s’est malheureusement ponctuée par une liquidation judiciaire lorsqu’un promoteur a escompté les 1 MF de traites qu’il détenait avant de déposer le bilan ; les banques se sont alors retournées vers moi… En 1988, encore sous le choc, j’ai rejoint ORT, concessionnaire de service public en charge de la mise en ligne du registre de commerce sur le minitel. En parallèle, ayant désormais plus de temps de libre, je me suis mis à créer, d’abord des bouteilles pleine de microprocesseurs que j’offrais aux amis chez qui j’allais en leur disant « cette bouteille a une puissance de calcul supérieure à tous les ordinateurs » !

 

« Panastar « ou l’exo-planète. Réalisée avec des cartes de magnétoscopes sur une couverture thermique de satellite.

Voyant que cela leur plaisait, je me suis mis à en faire davantage, puis à élargir mes créations (travail du bois, bouteilles incrustées dans le bois, etc. ).

Quel est le quotidien d’un sculpteur ?
Il y a d’une certaine manière une grande similitude avec le monde de l’entreprise car un artiste doit créer, stocker des matières premières, produire, communiquer et vendre bien entendu. Le principal avantage est que l’on joue en travaillant, ce qui procure un grand bonheur !

Qu’est-ce que le « cybertrash » ?
C’est le nom de ma première œuvre. Je l’ai ensuite donné plus largement à mon style car celui-ci repose sur les rebuts de la cybernétique. Le cybertrash consiste à réaliser un travail de mémoire sur des objets (composants électroniques issus d’ordinateurs, de télévisions, de magnétoscopes ou de matériel hi-fi ), c’est-à-dire à les mettre en valeur et à les immortaliser pendant leur période de visibilité car ils sont voués à disparaître.

Comment récupérez-vous les composants ?
J’ai récemment quitté Paris pour m’installer à Grasse afin de me rapprocher notamment de Sophia-Antipolis. Je travaille en effet beaucoup avec les entreprises qui y sont implantées. Alcatel Space, Philips et surtout Texas Instrument me donnent des matériels issus de leurs chaînes de production (wafers, circuits intégrés, et même un morceau de satellite !). J’ai également des amis et des collectivités qui me procurent des matériaux. Je dispose d’une salle de stockage de 40 m2 environ.

Où exposez-vous et à qui vendez-vous vos œuvres ?
Des expositions sont régulièrement organisées à Sophia, mais également à Grasse, Cannes, Nice et parfois Paris. Certains collectionneurs apprécient beaucoup mes œuvres puisque 20 d’entre eux en ont plusieurs et certains en ont 15, 20 et même 45 ! Enfin, je vends aussi des œuvres aux entreprises. Elles les exposent dans leurs locaux, les offrent à leurs clients ou lors de remises de prix en internes ou en externes. Je crois d’ailleurs beaucoup à cet axe de développement.

Quelles sont les difficultés que vous avez rencontrées dans le cadre de ce développement d’activité ?
Le métier d’artiste est difficile d’accès car il y a un microcosme Beaux-Arts. Il faut s’armer de patience et construire progressivement son réseau pour parvenir à se faire connaître et peut-être alors à véritablement percer. J’ai aujourd’hui la chance de figurer dans le dictionnaire « Grund » (lequel recense environ 14 000 artistes d’art contemporain du monde entier) et d’être membre de l’académie italienne « Greci Marino » des arts et lettres ainsi que du « Mérite et dévouement français ». Internet s’avère également très utile pour se faire connaître. Toutes mes œuvres y sont visibles dans le catalogue raisonné ainsi que les articles de presse et les performances réalisées (NDLR : collaborations avec d’autres artistes).

Si un jeune ESSCA vous sollicitait pour le conseiller, que lui diriez-vous ?
Comme dit si bien Jean-Pierre Arnoux, galiériste à Saint Germain-des-Prés, « la différence entre un artiste connu et un artiste inconnu, c’est que l’un est connu et pas l’autre ! « .
Cette lapalissade est riche de sens. Il faut toujours persévérer, aller de l’avant et créer. Sortir, se montrer et se faire connaître, c’est essentiel.

A quand une exposition à Angers ou à l’école ?
Pourquoi pas ?
Ce serait avec grand plaisir !